Par Jean-Marc Fontan , Codirecteur du PhiLab et professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal
31 Janvier 2022
En automne dernier, des représentant·e·s de la majorité des États-nation de la planète se sont rencontrés à Glasgow (COP26) pour réitérer l’importance des actions à maintenir et à élargir pour réduire les effets négatifs des activités humaines sur les écosystèmes naturels. Réchauffement climatique oblige, les objectifs à atteindre ont été rappelés pour empêcher une hausse dévastatrice du réchauffement climatique. 9
La COP26 a mobilisé l’attention des médias et des populations. Tenue au début novembre 2021, elle a détourné notre regard d’une autre démarche, tout aussi importante : la première de deux rencontres de la 15e Conférence des parties (COP) de la Convention sur la diversité biologique des Nations-Unies. Le premier temps de la COP15 a eu lieu du 11 au 15 octobre 2021 en sessions virtuelles à partir de Kumming en Chine. Si la situation pandémique le permet, le deuxième temps devrait avoir lieu en présentiel à Kumming du 25 avril au 8 mai.
La Convention sur la diversité biologique (CDB) a été lancée au sommet de la Terre de Rio en 1992, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Ce traité international a trois objectifs : « la conservation de la diversité biologique », « l’utilisation durable de la diversité biologique » et « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. [1]
Les cibles de la COP15 visent « à ce qu’au moins 30 % des zones terrestres et des zones maritimes […] soient conservées grâce à des systèmes de zones protégées et d’autres mesures de conservation efficaces ». Il est aussi question de mitiger différentes formes de pollution, dont celles propres à l’agriculture et à l’utilisation de plastiques. Pour atteindre les cibles, ont aussi été identifiées : « un volet financier et des mesures pour suivre les engagements des États ».[2]
Selon l’Agence française de développement (AFD), les besoins sont évalués entre 722 et 967 milliards de dollars par an d’ici à 2030. Entre 124 et 143 milliards de dollars sont actuellement dépensés. Et près de 500 milliards vont à des subventions néfastes à la nature. [3]
Face à un enjeu aussi central pour la survie de l’humanité, nous sommes en droit de nous demander si les efforts déployés par la déclaration de Kumming issue des travaux de la COP15 seront assez importants pour empêcher l’érosion de la biodiversité.[4] Tant les ressources mobilisées par les 168 signataires de la Convention sur la diversité biologique s’avèrent insuffisantes que celles mises à disposition par le secteur philanthropique international.
Le soutien philanthropique à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique a représenté moins de 2 % des 750 milliards $ US donnés par des fondations et des particuliers dans le monde l’année dernière, selon une étude menée par ClimateWorks, une organisation soutenue par des fondations. [5]
La philanthropie environnementale ne fait pas consensus dans les priorités stratégiques adoptées par les fondations et les particuliers. Et ce, malgré le fait que cette cause est déterminante pour notre survie.
Comment les philanthropies corporatives, opérationnelles ou subventionnaires pourraient intervenir? Certainement en augmentant les ressources financières mises à la disposition des actions et des luttes à mener pour préserver la diversité biologique. Cependant, l’apport des fondations aurait avantage à aller au-delà de capitaux à rendre accessibles pour cette cause. Il pourrait aussi viser à clarifier le débat en cours sur la façon dont nos modèles socioéconomiques de développement devraient prendre en considération la pleine mesure de la valeur écologique.
Si un consensus large se dégage désormais sur la nécessité de réformer en profondeur des systèmes économiques devenus autodestructeurs, car visiblement occupés à saper leurs fondations écosystémiques, deux approches s’opposent quant au chemin à suivre.[6]
La première, l’approche séparatiste, repose sur l’idée de créer des zones naturelles, le 30% d’aires protégées à atteindre d’ici 2030. Cette approche minimise les effets dévastateurs qui seront engendrés par l’exploitation des autres 70% sur lesdites zones protégées. Cette approche ne prend pas la pleine mesure de la dynamique relationnelle à la base du fonctionnement des écosystèmes naturels.
La deuxième, l’approche holistique, nous rappelle l’importance de la bio-solidarité, laquelle est à la base même du fonctionnement des écosystèmes naturels : « le monde vivant est non seulement un agrégat de flux, mais plus encore un ensemble de liens – c’est un réseau dynamique de relations naturelles et sociales »[7]. Il importerait donc, comme approche stratégique, de garder en santé ce réseau dynamique, et surtout, de ne pas le mettre en danger.
La présence de ces deux visions est observable au sein des travaux de la COP15. Elle donne lieu à de victoires distinctes d’un camp sur l’autre. Les effets de cette confrontation sont inégaux, compte tenu des rapports de force entre les parties. Un rapport de force qu’il importe de renverser.
Il faut aujourd’hui trancher cette contradiction en faveur de l’approche holistique plutôt que de prolonger l’improbable compromis actuel, par lequel on proclame vouloir favoriser l’approche holistique pour, dans les faits, donner toujours plus la priorité à l’approche séparatiste[8].
Certes, la philanthropie environnementale dispose de peu de moyens par rapport aux autres formes de philanthropie, et encore moins comparativement aux capacités et pouvoirs d’agir des États et des entreprises privées.
Toutefois, elle a la capacité de rendre la cause plus centrale au sein même de l’écosystème philanthropique. Elle a aussi toute la légitimité requise pour informer, sensibiliser et conscientiser la population sur l’importance de la biodiversité et la centralité de la bio-solidarité.
Ce faisant, la philanthropie, dans une posture unifiée, pourrait activement participer au dénouement de la contradiction observée entre les deux postures[9]. Elle pourrait permettre d’élever le débat et jouer un rôle clé dans le déblocage des mentalités à réaliser afin de briser l’hégémonisme de la valeur économique – la valeur d’échange – sur les autres valeurs : les valeurs d’usage, de partage et écologique.
Source : PhiLab